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Le bagne de Guyane
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Le bagne de Guyane
  • Un siècle d’échec carcéral. Dès le Second Empire, la Guyane fut choisie comme terre d’expiation. Au total, environ 80.000 transportés, relégués, déportés y furent expédiés sans profit pour la colonie. Histoire, géographie, vie quotidienne au bagne
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11 avril 2013

Rapport confidentiel adressé en 1934 par le commandant supérieur des îles, à sa hiérarchie.

 

 

Bagnards 132Agents sur le départ

<< Les agents, ignorants ou paresseux, s'en remettent aux écrivains et aux porte-clés des devoirs de leurs charges. Ils se contentent de signer pièces et documents établis par leurs secrétaires d'occasion et ceux-ci acquièrent un ascendant qui ouvre carrière à tous les trafics.

<< En outre surveillants et condamnés sont parvenus souvent à s'installer dans certains emplois comme dans des fiefs de délection et la collusion règne.

<< C'est alors la floraison de la débrouille.

<< La débrouille ! l'expression en est tellement courante aux îles qu'elle a reçu l'estampille officielle.

<< Les canotiers-maîtres des embarcations ont réclamé un prix de passage à des surveillants venus de l'île Saint-Joseph. C'est leur débrouille.

<< Le planton de la boulangerie se débrouille et aide les boulangers à se débrouiller en plaçant des pains de fantaisie dans les ménages Surpris par l'agent central, il excipe de l'autorisation donnée par un commandant et par un ancien chef de centre. Et c'est vrai.

<< Le fendeur de bois de la même boulangerie a mis l'embargo sur la braise récupérée des fours et la place au prix de 20 sous le sac - C'est un débrouillé! - autorisé également.

<< Autorisé non moins auraient été les jardiniers à vendre quelques légumes, le lampiste à prélever du pétrole, les gardiens de cases à recueillir les déchets de pain, les bouchers à s'approprier les viscères des bêtes abattues. Les garçons de ménage à trafiquer de ceci ou cela pour leur tabac, pour leur débrouille.

<< La débrouille a jusqu'ici justifié toutes les transgressions du règlement, toutes les complaisances contraires à l'ordre et à la discipline.

<< Bref la fête battait son plein en avril 1933. Mal venu devait être celui qui la troublerait. On le lui fit bien voir. Demandes de changement de pénitencier, ou de relève de postes, hospitalisation chez les surveillants, simulation de maladies, mauvaise volonté au travail, protestation saugrenue chez les condamnés, l'action fut diverse mais la répression énergique et immédiate.

<< Il est triste d'enregistrer que dans ces circonstances, le médecin du pénitencier ne se trouvât pas du côté du Commandant pour aider au redressement nécessaire.

<< Le rapport déjà mentionné du 30 novembre a énuméré tous les cas où son opposition sourde s'avéra au profit de la lie du bagne.  Il faut ajouter que les hospitalisations de complaisance et les générosités dispendieuses pour l'Etat alternèrent avec des soirées musicales en sa maison, où les distances étaient abolies.

<< Et d'abord, l'insuffisance professionnelle des agents assoit les empiètements des condamnés. Pensez que parmi ces derniers se rencontrent des intellectuels et des gaillards rusés et matois. Ils ont vite fait de déceler l'ignorance ou la cupidité de leurs gardiens. Dès lors les travaux d'approche, d'encerclement s'ourdissent, triomphent.

<< Conseils, réprimandes, punitions se heurtent le plus souvent à une passivité qui semble trouver son origine dans un recrutement défectueux. Si un choix plus sévère présidait à l'admission dans le corps de la surveillance, il y aurait moins d'illettrés, moins d'ivrognes et surtout moins d'unités enclins à colluder avec les forçats. Ces indésirables nuisent à la bonne renommée des agents perfectibles sobres et impeccables mais surtout ils contraignent un commandant de pénitencier à se garder des gardiens autant que des condamnés.

<< D'autre part, un égal souci naît du comportement de l'officier du corps de santé avec les forçats. Non comptable de l'ordre et de la discipine celui-ci, trop souvent, se laisse circonvenir par les habiles.

<< D'où la nécessité de n'affecter à un pénitencier isolé comme les îles du Salut que des médecins expérimentés ou informés des roueries du bagnard.

<< Santé, sécurité, rendement et finances publiques s'en trouveront bien.

 

(cité par Michel Pierre)

Il y a du vrai dans ce rapport, qui date d'une époque où l'AP avait amorcé sa déliquescence.

On se permettra de contester les accusations portées contre le médecin-chef dont la logique n'était pas de contribuer à renforcer la discipline (chacun son métier) mais bel et bien de tenter de maintenir les détenus dans un état de santé convenable. Ainsi, les interruptions temporaires de séjour en réclusion étaient mal vécues par les gardiens, mais la plupart du temps elles n'avaient pour but que d'éviter au condamné de sombrer définitivement dans l'aliénation. 

Edité le 15 août 2013.

Entre temps, j'ai parcouru un certain nombre de souvenirs du bagne, qui me font quelque peu réviser mon point de vue. Jusseau, Belbenois et surtout Dieudonné font allusion à ce médecin décrit selon la terminologie de l'époque comme un individu de moeurs spéciales qui recevait chez lui ses gitons du moment, recrutés par Barataud (lien) outrageusement favorisés (repos, nourriture supplémentaire, dispense de coucher dans les cases collectives, etc.) médecin qui, en outre, se révéla d'une incompétence criminelle lors de certaines intervention chirurgicales.

On notera que ce comportement donna des arguments à la hiérarchie de la Tentiaire pour rogner les ailes des médecins - y compris de ceux qui entendaient exercer leurs fonctions autant dans le respect des règles que de leur déontologie.

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Commentaires
A
Bonjour, est-ce que par hasard vous auriez l'article de M.Pierre dont est tiré ce rapport? Je suis actuellement en train de réaliser un mémoire de recherche sur les bagnes et j'aimerais retrouver la référence exacte de ce rapport pour pouvoir y faire référence.<br /> <br /> D'avance merci
B
(benjamin) Je garde le dossier "gardiens" sous le coude, en attendant des informations. Là encore, il y avait une très grande hétérogénéité des personnalités, des milieux, des situations, des mentalités
M
Nous sommes donc parfaitement d'accord sur de point de l'autorité et de la ligne à ne pas dépasser . J'ai aimé l'entendre... enfin, le lire ^^. <br /> <br /> Mais, dans la hâte à se "débarrasser" des forçats, n'a-t-on pas trop négligé le choix des gardiens ? Venaient-ils tous de la métropole ?<br /> <br /> -<br /> <br /> Isolés, leur tâche était difficile et tous n'étaient peut-être pas de taille à y faire face . <br /> <br /> J'aurais tendance à croire que leur vie, à eux aussi, était un peu en marge de la société . Etaient-ils bien vus de la population ? <br /> <br /> Sait-on la durée moyenne de leur présence en tant que surveillants ? <br /> <br /> Avait-on seulement pensé à préciser la durée de leur engagement ?<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> ;
B
(benjamin) Le journaliste Londres est bien obligé "d'aller au contact" pour faire son travail et d'ailleurs je ne distingue pas d'empathie particulière, sauf pour des individus qui tranchaient sur la masse (comme Dieudonné) tout comme je ne distingue pas d'antipathie contre "le personnel" dont il décrit certains membres, au final, comme de braves types qui n'en rajoutaient pas. <br /> <br /> Londres était choqué par les excès et les aberrations du système (pas par le système en lui même) plus que par les individus.<br /> <br /> <br /> <br /> Pour le reste - et on dépasse la problématique transporté-gardien - lorsqu'il y a une relation d'autorité, les "distances" ne sauraient être abolies, surtout dans le contexte de l'époque.<br /> <br /> L'auteur du rapport n'a pas tort de signaler la supériorité naturelle du condamné qui n'a qu'une chose à faire: savoir comment piéger l'individu et le système pénitentiaire, sur le gardien qui a sa vie en marge. <br /> <br /> <br /> <br /> "" Pensez que parmi ces derniers se rencontrent des intellectuels et des gaillards rusés et matois. Ils ont vite fait de déceler l'ignorance ou la cupidité de leurs gardiens. Dès lors les travaux d'approche, d'encerclement s'ourdissent, triomphent."""<br /> <br /> <br /> <br /> D'où la nécessité de rester quelque peu "service service", faute de quoi on entre forcément dans les compromissions. On peut rester "service service" (je citerai un témoignage de gardien) tout en étant humain.<br /> <br /> Si j'en crois mon expérience d'enseignant, en extrapolant, j'ai tendance à imaginer que les gardiens qui fricotaient trop avec les détenus devaient être plus méprisés que les autres qui faisaient convenablement leur travail, aussi humainement que possible, mais sans donner l'impression qu'ils passaient "de l'autre côté"<br /> <br /> Laisser tomber une cigarette à peine allumée (si ce n'est pas en récompense d'un service indu), laisser des détenus assoiffés boire du lait de coco dès lors que les noix ne sont plus ramassées pour en tirer l'huile, c'est une chose. Copiner dans des soirées communes... <br /> <br /> <br /> <br /> Que le médecin donne des dispenses de travail... Il est dans son rôle. Mais si les transportés festoient en sa compagnie, il rend son activité suspecte, forcément.
M
Merci de cette précision (nécessaire) qui tempère les données brutes de ce rapport
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