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Le bagne de Guyane
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Le bagne de Guyane
  • Un siècle d’échec carcéral. Dès le Second Empire, la Guyane fut choisie comme terre d’expiation. Au total, environ 80.000 transportés, relégués, déportés y furent expédiés sans profit pour la colonie. Histoire, géographie, vie quotidienne au bagne
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21 août 2013

"Impressions Guyanaises" - Magazine "à travers le Monde", 1910

a travers le monde c

Au Pays des Bagnards --- Impressions Guyanaises---

Depuis que la relégation est supprimée en Nouvelle-Calédonie, la Guyane française a pris une importance nouvelle dans les questions pénitentiaires; le pays est intéressant à connaître et l'article de notre correspondant en montre les différents aspects au point de vue pénitencier

Le paquebot qui nous laissa à la Martinique avait repris aussitôt la route de France. C'est par un bateau annexe de la Compagnie Transatlantique que les voyageurs à destination de la Guyane, sont transportés de Fort-de-France à Cayenne. La première escale dans les Guyanes est Demerara ou Georgetown, capitale de la Guyane anglaise, ville coquette et plaisante comme les Anglais savent en créer dans leurs colonies et où l'on jouit sous un climat assez clément de tous les perfectionnements de notre civilisation moderne. Le lendemain l'annexe mouille en rade de Surinam ou Paramaribo, chef-lieu de la Guyane néerlandaise et, après quelques heures seulement, fait route sur Cayenne par la pleine mer.
Dix heures de navigation, puis peu à peu se dessine à l'horizon une grande ligne grise, qui fait une séparation très nette entre la mer du large, claire et brillante, et l'autre océan sale et triste, qui est la mer de Cayenne. C'est la zone de mélange des eaux salées avec la masse des grands fleuves de la côte américaine: Amazone, Maroni, Mana, Oyapoc. Puis, à peine à huit ou dix milles, on longe bientôt un rivage gris, monotone, bas, semé d'un peuple de palétuviers rabougris et enchevêtrés, par derrière, on découvre des plaines immenses, nues, sans aucun vestige d'habitation ni trace de civilisation, Si loin qu'on puisse fouiller avec la lunette, on n'aperçoit pas une cabane, pas la moindre fumée. On a l'impression que le morne et lourd silence des solitudes doit régner sous ce ciel impassible, toujours brûlant, jamais pur comme nos ciels de Provence.
Puis, en avant, à bâbord, de petites masses grises, chevelues de cocotiers, se dessinent dans le lointain très basses; ce sont les îles du Salut. A mesure qu'on se rapproche, on les distingue, on les divise et leurs reliefs apparaissent. Elles forment un archipel de trois îlots qui sont l'île Royale, l'île Saint-Joseph et l'île du Diable. A l'opposé, sur la côte, une agglomération de quelques cases derrière un rideau de longs cocotiers et à l'embouchure d'une large rivière, c'est la rivière de Kourou et le pénitencier des Roches.

Nous ne sommes plus qu'à une vingtaine de milles de Cayenne. L'abord en est indiqué par trois rochers sinistres et nus, redoutés des navigateurs. Le plus éloigné au large, porte une lanterne ou plutôt un phare de faible puissance, que gardent constamment deux forçats, placés là par l'administration pénitentiaire, qui leur fait envoyer tous les quatre ou cinq jours, les vivres et l'eau douce qui leur sont nécessaires. Depuis ces trois rochers, qui portent les noms de l'île Le Père, l'île La Mère et l'Enfant Perdu, les fonds baissent de telle sorte que les navires de fort tonnage sont obligés de mouiller à près de deux milles du port, que l'on commence à distinguer dans l'embouchure de la rivière de Cayenne. A marée haute seulement, les navires de tonnage moyen peuvent arriver jusqu'à l'estuaire.

Image268L'estuaire n'est pas large, le cadre en est triste et désolé; les rives, très vaseuses, rendent le débarquement difficile, parfois même périlleux. Le paysage plutôt laid dégage une mélancolie qui vous serre le coeur. Il nous fallut, un jour que nous étions arrivés par une chaloupe en plein jusant, nous faire remorquer par des nègres, dans une pirogue, sur des centaines de mètres de vase. Un appontement de madriers vermoulus et devenu depuis de nombreuses années impraticable, profile sur la rive boueuse sa silhouette haute et délabrée.

Cayenne, bâtie dans la verdure entre la rive droite de la rivière et la mer, paraît par contraste presque séduisante. Une large et vieille caserne sur un monticule que les habitants dénomment orgueilleusement le fort Cépérou, fait face à la mer. Elle est aujourd'hui presque inhabitée. Une compagnie formée d'éléments indigènes et répartie entre le pénitencier des Iles du Salut, celui plus important du Maroni, et Cayenne, constitue toute la garnison militaire de la Guyane, et les forces que le Gouvernement met à la disposition de l'administration pénitentiaire pour contenir plus de 6.ooo forçats. En arrière du Cépérou s'étend la ville aux maisons lépreuses, alignées sur quelques rues droites qui convergent presque toutes sur la grande place du Gouvernement, la place des Palmistes, remarquable par la hauteur de ses palmiers immenses, dont les Cayennais sont, à juste raison, très fiers. Quelques demeures de style colonial et le lourd édifice du Gouvernement, sévère et d'un pauvre aspect, en forment tout le cadre. L'insécurité et les abords peu praticables de son port, unis aux dissensions politiques des quelques habitants, ont fait de Cayenne, depuis quelques années, une ville désolée. L'administration pénitentiaire n'y entretient plus de forçats que pour le service de la voirie, de l'hôpital et de l'hôtel du Gouvernement. Çà et là quelques libérés ont dressé des boutiques mal achalandées. D'autres vendent des allumettes, des paniers au coin des rues ou sur les marchés.
Un jour n'entendit-on pas deux d'entre eux tenir la conversation suivante, assez piquante : " Comment fais-tu pour vendre tes paniers meilleur marché que moi, à qui l'osier cependant ne coûte rien puisque je le vole? - Eh bien, je vais plus loin encore et moi, je vole les paniers tout faits".
On compte les colons qui tentèrent de fertiliser le sol spongieux des savanes ; les seuls habitants aisés sont des commerçants heureux, pour la plupart tenanciers de bazars ou de magasins universels, ou encore quelques créoles enrichis par l'exploitation de bons placers. Les placers, qui rapportent plus d'or qu'il n'en faut pour couvrir tous les frais d'exploitation, du transport des vivres ou du matériel, sont aujourd'hui de plus en plus rares. Dans le sous-sol des forêts, les alluvions de tous les fleuves et bras de fleuves (les criques comme on les appelle là-bas) dans les monts Tumuc-Humac d'où découlent toutes ces larges rivières qui découpent la côte et enlisent la mer de leurs sables, il y a de l'or, beaucoup d'or, mais les difficultés sans nombre d'une exploitation un peu sérieuse ont découragé les plus belles énergies. Néanmoins, beaucoup de créoles, qui gardent le souvenir des richesses faites en quelques jours au Karsevenne ou à l'Innini, attendent et conservent leur provision de mercure, prêts à se ruer sur le premier filon praticable qu'on découvrira. Outre l'or, dont l'exportation se fait surtout mystérieusement au grand bénéfice de quelques-uns et malgré les rigueurs douanières, on retire encore de notre Guyane de la gomme à balata, que de courageux industriels vont extraire en forêt de l'arbre à balata, et l'essence de bois de rose, extraite par distillation qui sert de base à beaucoup de nos parfums en usage dans la métropole.

Image269De Cayenne à Kourou, une goélette (une tapouille, comme disent les gens du pays) nous transporte en dix heures. La mer fait rage sur cette côte basse de Guyane, et les lames, poussées toute l'année par les alizés du nord-est, déferlent furieusement contre les bancs de vase qu'infestent les requins. Un homme qui tombe à la mer est considéré comme perdu. Tout dernièrement encore, une forte lame enlevait quatre personnes de la chaloupe, le Colonel Loubère, qui fait le service entre Kourou et les Îles, et malgré les recherches actives pratiquées sur le rivage par la grosse chaloupe à vapeur de l'administration pénitentiaire le Maroni,on ne découvrit aucune trace des quatre malheureux, dont le commandant Rémy qui dirigeait le pénitencier des Iles du Salut.
C'est dans ces eaux chaudes et limoneuses de la côte et surtout à l'embouchure des fleuves qu'abondent ces poissons volumineux mais de saveur fade comme l'acoupa; le machoiran, dont la consommation est courante sur les pénitenciers. Poisson et gibier composent invariablement le menu d'une table de famille guyanaise ; les petits boeufs importés à grands frais du Venezuela donnent une chair de peu de qualité et à des prix de revient élevés. Peu de légumes, des tomates, de la salade, des -patates poussent dans.les potagers, généralement mal entretenus des pénitenciers. Aussi fait-on en Guyane un grand usage des conserves de France.
Le poste de Kourou où nous arrivons et qui se décompose en deux parties : le village indigène à deux kilomètres dans la savane, non loin de la rivière et le pénitencier des Roches sur le bord de la mer avait été fondé en 1763 par Thibaut de Chanvalon, Les treize mille infortunés colons qu'il avait eu l'audace d'y conduire, y périrent. "Ces déserts, écrivait un des rares survivants, ont été aussi fréquentés que les jardins du Palais-Royal. Des dames en robe traînante, des messieurs à plumets marchaient d'un pas léger jusqu'à l'anse et Kourou offrit pendant un mois le coup d'oeil le plus galant et le plus magnifique... Mais la peste commença ses ravages, les fièvres du pays s'y joignirent. Au bout de dix mois, dix mille hommes périrent tant aux Islets qu'ici... " A deux heures de canot en amont sur la rivière, se trouve le camp de Pariakabo, dénommé autrefois le camp d'assouplissement.
On y avait en effet réuni un jour deux cents fortes têtes pour la plupart apaches marseillais ou parisiens, remarqués par leur indiscipline et leur mauvaise volonté. Le climat et l'alimentation précaire, auxquels ils furent soumis en eurent facilement raison, puisque quatre d'entre eux seulement en purent revenir. C'est parmi eux que succomba un apache parisien, redouté bandit, dénommé Théo de Montparno, A Pariakabo aujourd'hui, dans ce camp que la culture et le déboisement ont relativement assaini, on récolte un peu de café qui pousse parfaitement sous bois et dont la qualité égale celle du meilleur Martinique. Environ cent forçats l'habitent; à la bouverie, qui est à quelques minutes du camp, on obtient un peu de bétail laid, malingre, chétif.
Le chantier forestier de Gourdonville, plus en amont encore sur la rivière, est une annexe de Kourou. On y exploite des bois merveilleux, mais dont on se sert peu. Le climat y est néfaste et l'endroit mal réputé. On y raconte qu'autrefois des surveillants en fête avaient assisté au supplice d'un bagnard incorrigible, ligoté sur un nid de fourmis rouges. Ces grosses fourmis, dites fourmis manioc, sont avec les reptiles et les moustiques une des plus grandes plaies de la Guyane. Il n'est pas rare de voir en une nuit des champs entiers dévastés par un régiment de ces redoutables insectes. Nombreux sont aussi les exemples d'évadés, morts de faim et de fièvre sous- la forêt ou tués par leurs camarades ou des Indiens du voisinage, dont on retrouve un beau jour le squelette "préparé" par les fourmis, dans la pose macabre où la mort l'avait laissé.

Un commandant de pénitencier qui était allé à 1a chasse guidé par des Indiens Galibis raconte l'histoire suivante : après avoir marché deux heures sous la forêt, il aperçut au pied d'un grand hêtre moucheté, quelque chose, ou plutôt quelqu'un qui lui parut être un relégué assis et dormant ; il était reconnaissable à son costume de toile bleue ainsi qu'à son chapeau de paille de pandanus et à sa musette qui gisait à terre. S'étant approché, il vit. que le soi disant dormeur, adossé au tronc de l'arbre, était un cadavre, mais un cadavre décapité. Un objet blanc sur ses genoux repliés brillait au soleil, C'était son crâne que des myriades de fourmis achevaient de polir en dévorant les derniers lambeaux de chair qui y étaient encore attachés.
De Kourou, l'archipel des Iles du Salut, qui n'est guère qu'à une heure de chaloupe, apparaît riant, frais, coquet avec le vert éclatant de ses arbres, tranchant sur le fond rouge des rochers et du sol. Ces îles furent ainsi baptisées à cause de l'enthousiasme immense qu'elles suscitèrent parmi les neuf bâtiments de l'expédition Turgot-Chanvalon, lorsqu'elles furent aperçues du large, pareilles à des bouquets émergeant de l'onde, par cette pâle troupe d'émigrants, exténués de souffrances et de privations. De ces îles, qui pourraient être pour les habitants des Guyanes un lieu de villégiature des plus agréables et des plus sains, on a fait un centre de déportation.

image270La plus grande, l'Ile Royale, possède une rade profonde et précieuse. Elle est habituellement réservée aux forçats de la dernière classe. Elle renferme, outre les professionnels de l'évasion, les virtuoses du crime, les héros de cours d'assises.
Des Transportés, ceux-là ne sont pas les plus malheureux, car l'air est clément  "aux îles" et les cases confortables. Somme toute, malgré la nourriture insuffisante, on y meurt moins vite qu'ailleurs. Cette sélection n'est-elle pas au détriment des petits criminels, de ceux dont la condamnation passe presque inaperçue ? Ces sujets de moindre importance, coupables de n'exciter ni curiosité, ni intérêt, sont répartis dans les stations agricoles, ou forestières des autres pénitenciers, tous plus insalubres. Là la mortalité les fauchera sans que cela tire à conséquence, puisque nul journaliste ne s'en occupera. Donc, au risque de paraître subversif, nous pouvons dire qu'il y a souvent plus d'intérêt pour un mauvais sujet à commettre un beau crime que de s'exposer à être pris pour un méfait banal.

(A suivre.) L. M.

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Il y a beaucoup à redire quant à ce reportage dont on sent qu'il a été rédigé par quelqu'un qui ne fit que survoler le pays, vu au travers de verres déformants. Dememara (Georgetown, de nos jours) est une ville charmante, dans un cadre agréable quand Cayenne est triste en grande partie à cause des eaux limoneuses d'une mer sale. Or les eaux sont tout aussi "sales" à Dememera qu'à Paramaribo ou à Cayenne... Question de perception! Les savanes présentes derrière le rideau de palétuviers ne sont pas "désolées, mortes" et toute cette sorte de choses par je ne sais trop quelle absence de volonté humaine, mais tout simplement parce qu'lles sont inondées huit mois par an, et que leur herbe très ligneuse qui pousse sur un sol à peu près stérile est parfaitement incomestible. Il faut aller plus au sud et défricher par brûlis pour obtenir des terres cultivables pendant quelques années. Les incontestables accidents provoqués par les requins sont amplifiés: à lire le voyageur, "un homme tombé à l'eau est considéré comme perdu, surtout aux alentours de Kourou". C'est sans doute pour cela que Dieudonné, au cours de sa tentative d'évasion, passa plus d'une nuit sur un fétu, les deux pieds dans l'eau et fut repris indemne, tout comme quelques dizaines d'audacieux qui firent preuve de la même audace. L'acoupa, un poisson de saveur fade? C'est un des poissons de mer parmi les plus fins qui existent et si le machoiran a un aspect quelque peu rébarbatif, il est également délicieux.

On évoque trois rochers sinistres et nus, redoutés des navigateurs. Le plus éloigné au large, porte une lanterne ou plutôt un phare de faible puissance, que gardent constamment deux forçats, placés là par l'administration pénitentiaire, qui leur fait envoyer tous les quatre ou cinq jours (en réalité: tous les mois), les vivres et l'eau douce qui leur sont nécessaires. Là encore, le journaliste mélange tout: si effectivement l'Enfant Perdu qui supporte le phare correspond à cette définition, les îlets Le Père et La Mère sont incroyablement fertiles, et dotés d'un petit port. Quant à la vase qui obstruerait le port de Cayenne, elle est l'effet de cycles: quelques années plus tard ce port sera d'accès libre quand Dememara sera obstrué. Si la caserne était presque inhabitée, c'est sans nul doute à cause d'une relève car les garnisons étaient composées de tirailleurs sénégalais.

Passons sur les légendes faisant état de gardiens sadiques qui livreraient des bagnards aux fourmis rouges, lesquelles les transformeraient en squelettes. Seule, au bout du compte, l'analyse "sociologique" du peuplement des îles est relativement pertinente: relire le dernier paragraphe. Décrire la Guyane est et fut toujours un exercice obligé, il faut se plier à une figure de style en la décrétant malsaine et sinistre, en accumulant les contre vérités, les exagérations et les approximations. 

Source : François Collin

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