Les Déportés du Second Empire, sur l'île du Diable.
En 1854, Monsieur Van Schmidt, Gouverneur de la Guyane hollandaise, visite les déportés politiques de l’le du Diable
« Dans l’île du Diable, la troisième et la moins importante des îles du Salut, on a réuni les déportés politiques français. Ces malheureux, égarés par de dangereux sophismes, méditent, à plus de 1.200 lieues de la France, au moyen de créer des gouvernements républicains parfaits. On leur laisse le libre exercice de cette jouissance et on dit qu’ils se sont choisi successivement depuis quelques mois six présidents nouveaux. Des myriades de requins errant autour de l’île les empêchent de fuir et le gouvernement leur laisse cette République en miniature tout à leur aise et songe même, dit-on, à leur faire présent d’une imprimerie »
Cité par Michel Pierre (la Terre de la Grande Punition)
Les premières cases de déportés (ancienne léproserie)
Faut-il souligner que cette imprimerie n'exista que dans l'imagination de Van Schmidt? Cela dit, les déportés du Second Empire bénéficiaient de conditions de détention particulières qui les distinguaient des forçats.
Droit de porter des vêtements civils - à condition de les recevoir de leurs familles ou d'avoir les moyens financiers suffisants pour s'en procurer, venant de Cayenne ; dispense de travail ; droit de porter la barbe (signe de républicanisme, et qui les distinguait des forçats imberbes et tondus), accès à de nombreux livres envoyés par leur entourage, etc.
La première cohorte de ces déportés comptait Charles Delescluze (ci-contre: il mourra pendant la Commune), et regroupait un grand nombre de proscrits après le coup d'état du 2 décembre 1851.
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Les déportés vivaient dans des cases individuelles, faisaient leur cuisine et entretenaient leur linge. L'accès à l'île du Diable était (et est toujours) excessivement difficile du fait des courants, du ressac qui empêchent parfois l'accostage des jours durant (plus tard, on bâtit un transbordeur, avec un câble qui joignait l'île Royale). On a exagéré la dureté du climat de l'île du Diable: il y fait au grand maximum 32° et les nuits y sont suffisamment fraîches pour ne pas être pénibles (les conditions très particulières de la détention de Dreyfus, que nous évoquerons plus tard, expliquent pourquoi il les supporta si mal).
Cela dit, elle n'avait pas ce côté "atoll enchanteur" qu'on lui connaît de nos jours puisque aucun arbre n'y poussait (il ne fallait pas que les déportés puissent faire des radeaux), quand maintenant, elle est couverte de cocotiers. En revanche, il est difficile d'imaginer la souffrance que représentait la promiscuité - l'île est minuscule, et partout, les vagues provoquent un vacarme incessant (pour y avoir séjourné deux jours, parti pour une heure, bloqué par la houle survenue sans préavis et en être revenu la tête fracassée, l'auteur de ce blog peut en témoigner).
Aucune source non plus, donc il fallait tant bien que mal récupérer l'eau de pluie qui croupissait rapidement: en saison sèche, c'était un réel problème. Enfin le courrier - évidemment contrôlé - mettait des mois à parvenir au gré de livraisons aléatoires. Le taux de mortalité considérable pour une majorité d'hommes en pleine force de l'âge, alors que l'île était exempte d'épidémies, suffit à montrer la dureté des conditions de vie: les déportés mouraient à peu près autant que les transportés, astreints au travail forcé. Il se suicidaient également dans de fortes proportions.
Outre Charles Delescluze, futur dirigeant de la Commune de Paris condamné dès 1849 pour "complot", l'île se peupla et se dépeupla au gré des arrivées, des décès, des amnisties. Contrairement à une légende bien établie, aucun déporté ne s'évada jamais de l'île du Diable. Ceux qui parvinrent à s'affranchir de la Guyane avaient été transférés auparavant sur le continent. Sur les 329 condamnés qui séjournent dans l'île depuis 1852, 76 sont morts, 177 sont revenus légalement en France métropolitaine, 58 se sont évadés de Guyane et 17 s'y sont installés après leur libération.
En 1866, il ne restait plus qu'un seul condamné, Tibaldi, envoyé en déportation en 1857 pour complot contre l'empereur. L'île retrouva alors sa vocation de léproserie pour les forçats, afin d'éviter les risques de propagation de l'épidémie. Rapidement, on transféra ces lépreux sur un îlot du Maroni et l'île du Diable retrouva sa fonction première d'accueil des déportés, après les affaires Dreyfus et Ullmo, puis des traitres réels ou supposés condamnés pendant la Première Guerre Mondiale.