Les femmes au bagne.
Leur présence avait été prévue dès la loi de 1854, organisant la transportation, un des buts de cette dernière était le repeuplement de la colonie.
Dès 1859, le Gouverneur de la Guyane se préoccupait des obstacles administratifs, et adressait un courrier au Ministre des Colonies.
Extraits.
« Monsieur le Ministre,
« La présence à Saint-Laurent-du-Maroni de trente-six femmes arrivées au mois de janvier par le transport le Loire doit entraîner comme conséquence prochaine leur union avec une partie des concessionnaires internés sur l’établissement.
« Son Altesse Impériale en m’annonçant par dépêche du 19 novembre 1858 l’embarquement des condamnées, m’informait en même temps qu’elles étaient pourvues des papiers nécessaires à la célébration de leur mariage.
« Dans le but de réaliser les intentions du département j’écrivis à Monsieur le commandant de Saint-Laurent et l’invitai à s’enquérir auprès des concessionnaires célibataires et veufs s’ils désiraient contracter mariage, se fixer à la Guyane à l’expiration de leur peine et dans le cas d’une réponse affirmative de la part de ces derniers, à les interroger sur leurs prénoms, lieu et date de naissance, filiation, etc.
On notera qu'à une époque ou rompre l'union maritale était quasiment impossible, autant l'administration que l'Eglise se montraient compréhensives. La condamnation au bagne entraînait sur simple demande du conjoint "demeurant en France" la prononciation à son profit du divorce civil et l'annulation du mariage religieux et le condamné était en général déchu de ses droits paternels. Dans ces conditions, des deux côtés de l'Atlantique, on pouvait refaire sa vie.
Les vieux briscards, au bagne, affirmaient que les compagnes tenaient deux mois, les soeurs deux ans, et les mères toute leur vie.
Le premier convoi de femmes transportées
Régulièrement, les forçats en instance de libération, faisaient parloir. On leur présentait des transportées qui, pour échapper à la condition carcérale et au travail forcé, se praient de tous leurs plus beaux atours afin de séduire un prétendant.
"Quand un concessionnaire, las de vivre seul, songe à se donner une compagne, il adresse une demande à ses chefs. S'il est bien noté et que l'administration ait des femmes disponibles on l'autorise à "faire parloir". Muni de sa permission, il se rend, accompagné d'un surveillant, au couvent où on le met en présence du gracieux essaim, plus ou moins nombreux suivant les circonstances. Il regarde, compare, réfléchit et lorsqu'il a fait son choix, désigne à la soeur gardienne l'objet de ses préférences.
- Revenez tel jour, à telle heure, lui dit-on.
La seconde entrevue, qui sera décisive, a lieu dans le kiosque. Le kiosque a deux issues, l'une sur la place qui précède le couvent, la seconde en face de la porte de la prison.
Le prétendu entre par l'une, tandis que la rougissante promise est introduite par l'autre: du côté "cour" un surveillant militaire se promène de long en large; du côté "jardin" une religieuse observe en égrenant son chapelet. Il importe que le dialogue ne prenne pas tout de suite un tour trop vif et que les interlocuteurs gardent, pour le jour de leurs noces, quelque chose à se dire.
La Soeur tousse quand le diapason s'élève, et le surveillant se tient prêt à faire irruption si besoin est au nom de la morale."
Paul Mimande, "au bagne"
La plupart de ces couples furent un échec. Entre les anciens souteneurs qui espéraient retrouver une fille soumise, entre les femmes n'ayant aucun attrait pour la forme de liberté qui leur était proposée: l'exploitation pénible d'une concession rurale et qui s'échappaient vers d'autres activités plus lucratives, les concessions étant par elles mêmes souvent des échecs faute de compétence et de capital de départ suffisant, c'est un euphémisme, d'affirmer que ces unions ne profitèrent aucunement à la Guyane.
Plus tard, quand des centaines de reléguées (voleuses multi-récidivistes, prostituées ayant violé à de nombreuses reprises les lois règlementant la vie des filles en carte, etc.) rejoindront les condamnées par des Cours d'Assises, ce fut pire. Ces deux catégories de femmes étaient placées sous l'autorité de religieuses de l'ordre de Cluny déjà très impliquées dans l'encadrement des prisons de femmes, sous la direction de Soeur Florence, irlandaise d'origine, qui passa trente ans sur les rives du Maroni: l'administration pénitentiaire n'intervenait que pour des tâches de police générale (récupérer les fuyardes, faire exécuter les sanctions prononcées par les prétoires et les tribunaux)
Nous reviendrons sur le sujet quand nous évoquerons les belles pages qu'Albert Londres y consacra.
Une des dernières femmes transportées, Marie Bartête