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Le bagne de Guyane
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Le bagne de Guyane
  • Un siècle d’échec carcéral. Dès le Second Empire, la Guyane fut choisie comme terre d’expiation. Au total, environ 80.000 transportés, relégués, déportés y furent expédiés sans profit pour la colonie. Histoire, géographie, vie quotidienne au bagne
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28 mai 2013

Rapport d'installation du condamné Dreyfus - Les problèmes matériels (3) -

Préparatifs (suite) - Débarquement du condamné

 

555_397_image_caom_3355_10_7_031895_008Ce n'est en somme que le 11 mars courant que nous avons pu nous trouver une petite goélette, l'Anna Julia, pour porter les matérieux de la case destinée aux surveillants de l'Ile du Diable. J'ai donné l'ordre à Mr le Conducteur principal Aubourg de s'embarquer sur ce petit bâtiment et de venir me rejoindre aux Iles où il séjournera jusqu'au complet achèvement des travaux.

Comme je vous l'ai déjà dit, je pense que nous aurons fini du 20 au 22, car j'ai prescrit au Commandant du Penitencier de mettre à la disposition de Mr Aubourg tout ce qu'il demandera en perosnnel et en matérizux, de façon à ce qu'aucun retard ne puisse se produire.

Dès mon arrivée à bord de la "Ville de Saint Nazaire", je me suis entendu avec le capitaine de ce bâtiment et le Commissaire du Gouvernement pour le maintien, sur le vapeur, du Déporté Dreyfus, jusqu'au jour du Départ. J'ai ensuite expédié le convoi de transportés et de relégués par le "Cappy" sur les pénitenciers du maroni, réparti les surveillants militaires, maintenuas sur "la Ville de Saint Nazaire" ceux dont j'avais besoin pour la garde de Dreyfus et je me suis embarqué dans une baleinière pour me rendre à l'Ile du Diable, où je tenais à voir, de mes yeux, le travail commencé.

J'ai trouvé dans les deux goulets une mer démontée que nous n'avons pas pu franchir - Mr Aubourg m'accompagnait - qu'avec les plus pénibles difficultés.

555_398_image_caom_3355_10_7_031895_009J'ai voulu aller jusqu'à une baie minuscule que j'avais remarquée sur lIle Royale, et qui me paraissait presque abordable pour un petit navire de faible tonnage. Je ne m'étais pas trompé; une petite goélette d'une vingtaine de tonneaux ne tirant pas beaucoup d'eau pourrait venir mouiller là, à une encâblure de la côte.

Mais ce voisinage de la côte et la facilité que l'on avait d'apercevoir le navire de l'Ile du Diable nous garantissent, à mon avis, de toute tentative de ce côté.

Descendu à terre, un simple coup d'oeil m'a permis de constater qu'il fallait encore plusieurs jours avant de pouvoir installer la Déportation. La case projetée pour les surveillants militaires devrait être élevée trop loin (40 mètres) de celle qui sera occupée par Dreyfus.

J'ai fait enlever la paillotte qui servait de chèvrerie et j'ai décidé que la case des agents serait édifiée sur cet emplacement, à 10 mètres.


Je suis allé jusqu'au campement des lépreux que j'avais fait diriger sur le Maroni; j'ai donné l'ordre de  démolir les carbets occupés par ces malheureux, on en a porté les débris sur la côte, et j'y ai fait mettre le feu.

555_399_image_caom_3355_10_7_031895_010C'est exactement à cet endroit que je fais planter les poteaux indicateurs de la limite qui sera assignée à Dreyfus.

La case affectée au déporté est en pierre. Elle a 4m sur 4m. La porte sera un berreautage en fer. La fenêtre est grillée également. La porte ouvrira sur un tambour de 2m sur 3m accolé à la façade principale de la case. Ce tambour sera fermé par une porte pleine en bois.

C'est dans ce tambour, absolument inattaquable du dehors, que se tiendra le surveillant militaire de garde la nuit, qui ne pourra pas perdre le prisonnier de vue, pendant son sommeil, la case étant nécessairement éclairée.

Ces dispositions arrêtées, je suis revenu à l'Ile Royale où j'avais à me préoccuper de rechercher l'endroit où je ferais détenir Dreyfus jusqu'au moment de son internement définitif à l'Ile du Diable

J'ai hésité un instant entre une cellule du quartier disciplinaire, le magasin des bois de justice et le nouveau bâtiment des cellules neuves. J'ai abandonné les deux premières solutions à cause des allées et venues continuelles nécessitées par le service des prisons, et je me suis arrêté à l'une des deux chambre, celle de gauche, située à l'entrée et sous la voûte du bâtiment en construction sur le plateau.

555_400_image_caom_3355_10_7_031895_011L'enceinte militaire est à quelques pas, et il suffit d'un homme de garde devant la porte pour que le condamné ne puisse faire un seul mouvement sans être aperçu.

Ce dernier point réglé, je suis retourné à bord de la "Ville de Saint Nazaire". je me suis fait ouvrir le bagne des femmes occupé par Dreyfus pendant la traversée, et je l'ai averti qu'il débarquerait une heure plus tard. A 3 heures le 12 mars [annoté d'une croix par le destinaire], en présence du Capitaine de l'affrêté et du Commissaire du Gouvernement, Dreyfus a été extrait du bagne des femmes et conduit sous l'escorte des surveillants militaires que j'avais conservés, à l'échelle du navire. Il est descendu dans l'embarcation, où je l'ai fait entourer par les agents, j'ai pris place à l'arrière avec le Commandant supérieur et une seconde embarcation venant derrière, j'ai fait pousser.

Dix minutes après, nous abordions à l'Ile Royale. Je faisais former rapidement l'escorte, et nous montions au plateau. Dreyfus qui portait les couvertures et les quelques vêtements de rechange lui ayant servi pendant la traversée, suspendus à une courroie, paraissait marcher avec difficulté. Quelques instants plus tard néanmoins, nous étions rendus aux cellules, et le condamné en sureté.

555_401_image_caom_3355_10_7_031895_012Pendant le trajet, le silence le plus total a été observé, les seules paroles qui aient été dites étaient nécessitées par de brefs commandements indicatifs de la marche à suivre. Dreyfus n'a, lui même, prononcé aucune parole.

De l'embarcadère aux cellules, j'avais fait préalablement évacuer les chemins, et placer des surveillants militaires de distance en distance pour en défendre l'approche.

Cette consigne a été rigoureusement observée et je n'ai pas aperçu un seul curieux.

Au moment où la porte de la chambre affectée provisoirement à Dreyfus allait être fermée, celui-ci m'a demandé s'il lui était permis d'expédier une dépêche à sa famille...

Sur ma réponse affirmative, on a remis au condamné le papier nécessaire et, en ma présence, il a écrit le télégramme que je vous ai remis pour être transmis au département à qui il appartient d'en faire l'usage qui convient.

555_402_image_caom_3355_10_7_031895_013Dreyfus m'a également demandé s'il était autorisé à écrire à sa famille. J'ai de nouveau répondu par l'affirmative en le prévenant que sa correspondance, à l'arrivée comme au départ,devait être ouverte et reçue par l'Administration.

Dès que les lettres écrites par le condamné Dreyfus me seront parvenues des Iles du salut, je vous les remettrai.

[surligné en marge par le correspondant] Avant de quitter les cellules et en présence du Commandant des Iles du salut, j'ai prévenu Dreyfus que la peine qui l'avait frappé commençait effectivement à cet instant, et que, chargé par les pouvoirs publics de la faire exécuter, je tenais à lui dire qu'il eut à se soumettre entièrement aux règlements qui lui étaient applicables. Je lui ai recommandé l'obéissance absolue. Je lui ai fait remarquer qu'il ne serait l'objet d'aucun mauvais traitement, mais je l'ai averti aussi que toute tenttaive quelconque venant de lui ou du dehors, pour échapper à l'accomplissement de sa peine, serait réprimée avec la dernière rigueur, qu'à la moindre démonstration active de sa part ou de celle de l'extérieur, il pourrait même courir risque de la vie...

555_403_image_caom_3355_10_7_031895_014Le condamné m'a répondu qu'il se soumettrait sans réserves..... "je jure sur l'honneur" m'a-t-il-dit, - car mon honneur est, croyez-le, Monsieur, resté intact dans tout ceci, que j'attendrai avec résignation le moment où mon innocence sera reconnue, je ne suis pas coupable et il n'est pas possible qu'on n'en fasse pas la preuve bientôt"... [annoté d'un trait fort]

En prononçant ces paroles, les larmes sont visiblement montées aux yeux de Dreyfus. Je n'ai pas répliqué à cette déclaration, indiquant simplement par un geste que je n'avais pas à examiner de telles éventualités. Je me suis borné à ajouter que j'avais le devoir de m'assurer de la garde et de la sécurité de sa personne et que je ne manquerais pas à ce devoir en prenant envers lui les précautions les plus sévères et les plus énergiques.

L'entretien a duré 3 à 4 minutes. Dreyfus ignore, bien entendu, qu'il sera transféré dans quelques jours à l'Ile du Diable, si même il sait exactement qu'il est à l'Ile Royale.

555_404_image_caom_3355_10_7_031895_015J'ai aussitôt organisé le service de garde, au moyen de surveillants militaires, pour le jour et la nuit, et j'ai demandé au Lieutenant d'Infanterie de marine commandant le détachement des Iles du salut de placer une sentinelle la nuit sous la voûte du bâtiment. Le Commandant des troupes a bien voulu ratifier cette mesure.

Le mobilier de la petite chambre de Dreyfus se compose d'un chalit, d'un matelas et d'une couverture, d'une chaise, d'une table. - On y a ajouté un seau à déjections et une cruche.

Il ne me reste plus, Monsieur le Gouverneur, qu'à reproduire maintenant les instructions que j'ai données au Commandant Supérieur des Iles du Salut, concernant le déporté Dreyfus, et l'exécution de la peine encourue par celui-ci.

Il est fait défense expresse au déporté Dreyfus de parler à qui que ce soit, le surveillant de garde excepté, à qui il aura la seule faculté de présenter les demandes qu'il aurait à faire touchant ses besoins personnels.
555_405_image_caom_3355_10_7_031895_016En ce qui concerne l'habillement du condamné, on se conformera à l'article 2 du Décret du 31 mars 1872.
La nourriture de Dreyfus sera celle du soldat de campagne, sauf la ration de vin (même article 2)
Je soumets à Monsieur le Gouverneur les arrêtés qui fixeront définitivement le fonctionnement du service de la Déporttaion à l'Île du Diable, par analogie avec les dispositions qui avaient été adoptées en Nouvelle-Calédonie, notamment à la date du 19 août 1872 et du 23 décembre 1873.
J'ai désigné pour continuer leurs services à l'Île du Diable et être affectés à la garde et à la surveillance du condamné Dreyfus les sous-officiers dont j'ai cité les noms, au commencement du présent rapport. J'ai augmenté cet effectif d'une unité en désignant le surveillant militaire de 1e classe Arboiseau, arrivé par la "Ville de Saint Nazaire", pour servir également à l'Île du Diable.

J'ai cru devoir citer textuellement au Commandant supérieur des Iles du salut le passage suivant des instructions confidentielles que vous avez reçues, Monsieur le Gouverneur,

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555_406_image_caom_3355_10_7_031895_017"Je vous le répète, il faut à tout prix que Dreyfus ne puisse correspondre avec l'extérieur, recevoir de l'argent et combiner des projets d'évasion rendus possibles par la corruption.

"Je ne puis vous indiquer en détail les mesures qu'il convient de prendre en la circonstanc, dans l'ignorance où je suis du lieu que vous avez choisi, et je vous laisse sous votre responsabilité  le soin, tout en vous conformant à la loi, mais en l'appliquant d'une façon rigoureuse, d'assurer l'exécution de la peine prononcée contre Dreyfus.

"Je vous recommande seulement de choisir avec le plus grand soin les surveillants qui seront chargés de la garde de ce déporté. Il faut désigner pour ce service spécial des agens honnêtes, sûrs et énergiques, incapables d'écouter les propositions que certaines personnes ont manifesté l'intention de faire à ceux qui voudraient se prêter à favoriser l'évasion de ce prisonnier.

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Chargé par vous, Monsieur le Gouverneur, de mettre en pratique les instructions du Ministre que je viens de relater, j'ai ait choix des cinq surveillants militaires dénommés ci-dessus, qui présentent, à mes yeux, je le répète, toutes les garanties désirables pour assurer comme il convient la garde du déporté Dreyfus.
555_407_image_caom_3355_10_7_031895_018Ces agents dépendront de l'autorité du Commandant Supérieu des Îles du salut, mais ce fonctionnaire sera tenu de m'aviser télégraphiquement de tous les faits quelconques touchant le condamné qui lui seront signalés par le Chef de camp de l'Ile du Diable et sans pouvoir d'en retenir aucun, si peu important qu'il puisse, le cas échéant, lui paraître.
J'insiste auprès du Commandant des Iles du salut, j'ai appelé à la plus sérieuse attention du surveillant Chef Bouly, sur les recommandations si pressantes du département qui nous avise que des peojets sont déjà préparés pour favoriser l'évasion de Dreyfus. Je leur ai fait pressentir la très grave responsabilité que nous ne manuerions pas d'encourir si une telle éventualité venait à se produire.
Mais, ai-je ajouté, elle ne se produita pas si nous savons apporter autant de vigilance et de soin à déjouer ces projets que eurs auteurs peuvent en mettre à les former.

Voici, enfin, les dispositions qui seront mises en application rigoureuse dès que le déporté Dreyfus sera interné à l'Ile du Diable.
Ces dispositions seront transformées en consigne ferme pour les cinq surveillants désignés ci-dessus, avec les additions qui seraient reconnues nécessaires dans la prtaique journalière du nouveau service à l'Ile du Diable.
555_408_image_caom_3355_10_7_031895_019Le condamné n'aura la faculté de circuler, le jour, qu'entre la partie de l'Ile comprise entre le débarcadère et le petit vallon où se trouvait le campement des lépreux, il lui sera fait défense absolue de franchir cette limite sous peine d'être immédiatement renfermé dans sa case pendant un nombre de jours à fixer ultérieurement. J'ai donné l'ordre de planter le poteau indicateur de la limite.
Dreyfus sera enfermé la nuit dans on logement, à partir du coucher du soleil jusqu'au jour.
La porte de la case étant barreautée en fer, une lumière sera maintenue toute la nuit à l'intérieur, de telle sorte qu'aucun des mouvements du détenu ne puisse échapper à l'attention du surveillant de garde.

La garde de nuit sera prise dans le tambour à 6h 1/2 du soir et quittée selon la saison à 5h ou 5h 1/2 du matin
J'espère que ce service de nuit ne fatiguera pas trop les agents qui pourront se reposer le jour puisqu'ils n'auront aucune corvée à effectuer.
Un service de rondes sera organisé par le surveillant chef Bouly pour surveiller la côte et la maison.
Les surveillants militaires seront toujours armés, les armres chargées. A la moindre alerte venant du dehors, au premier aperçu suspect, qu'il s'agisse d'un navire, d'une embarcation ou d'une personne, on devra s'assurer de Dreyfus, actionner les signaux en attendant l'établissement du téléphone que je fais préparer et le commandant des Iles du Salut se rendra, immédiatement, s'il y a lieu, de sa personne à l'Ile du Diable.

555_409_image_caom_3355_10_7_031895_020Il sera interdit à toute personne quelconque de pénétrer à l'Ile du Diable sans une autorisation

La garde de nuit sera prise dans le tambour à 6h 1/2 du soir et quittée selon la saison à 5h ou 5h 1/2 du matin
J'espère que ce service de nuit ne fatiguera pas trop les agents qui pourront se reposer le jour puisqu'ils n'auront aucune corvée à effectuer.
Un service de rondes sera organisé par le surveillant chef Bouly pour surveiller la côte et la maison.
Les surveillants militaires seront toujours armés, les armes chargées. A la moindre alerte venant du dehors, au premier aperçu suspect, qu'il s'agisse d'un navire, d'une embarcation ou d'une personne, on devra s'assurer de Dreyfus, actionner les signaux en attendant l'établissement du téléphone que je fais préparer et le commandant des Iles du Salut se rendra, immédiatement, s'il y a lieu, de sa personne à l'Ile du Diable.
Il sera interdit à toute personne quelconque de pénétrer à l'Ile du Diable sans une autorisation écrite du Gouverneur ou du Directeur de l'Administration Pénitentiaire, cette autorisation étant obligatoirement revêtue du sceau du Chef de la Colonie ou du mien.

555_410_image_caom_3355_10_7_031895_021Il est expressément défendu de laisser approcher de la côte de l'Ile du Diable quelque navire, embarcation, bateau, radau, objet flottant que ce soit autre que les embarcations de l'Administrtaion préalablement reconnues par le urveillant Chef, Chef de camp. A la moindre tenttaive d'approche, défense sera faite par la force.
Toutes communications avec les personnes, le Commandant des les du salut excepté, et le Médecin dont je parlerai tout à l'heure, sont interdites sns aucune restriction, au condamné Dreyfus.
Le transporté homme d'équipe mis au service des surveillants militaires de l'Ile du Diable est partiellement compris dans cette défense: ce transporté sera de race arable. A la moindre infraction, cet homme sera renvoyé de suite au chef-lieu, et remplacé.
S'il y a eu tentative d'entretien de la part de Dreyfus, celui-ci sera immédiatement puni en attendant qu'il soit statué sur la durée de la punition.

Lorsque le canot des vivres viendra de l'Ile Royale faire le ravitaillement à la déportation, il sera monté par deux surveillants militaires. L'un de ces deux sous-offciers accompagnera la crvée qui descendra à terre ; l'autre restera à bord et surveillera les transportés canotiers. Le déporté Dreyfus sera enfermé dans sa case pendant le déchargement qui devra avoir lieu avec rapidité.

555_412_image_caom_3355_10_7_031895_023Bien que renfermé, il ne devra pas être perdu de vue pendant le séjour de la corvée des vivres à l'Ile du Diable
La correspondance de Dreyfus sera l'objet de la plus minutieuse attention.
A l'arrivée, les lettres devront être ouvertes et vérifiées par le Commandant des Iles du salut personnellement, transmises à l'Ile du Diable sous pli fermé et cacheté à la cire, elles seront contre-vérifiées par le surveillant-chef Boul et remises par lui au destinataire.

Il sera opéré de la même façoon pour les lettres écrites à destination de l'extérieur par Dreyfus.

Toute lettre contenant une indication quelconque intéressant la sureté de Dreyfus écrite par lui ou venant du dehors, tout papier suspect devra m'être transmis d'urgence par le Commandant des Iles du Salut.

Dreyfus ne devra détenir aucune somme d'argent. L'argent qui pourrait lui être envoyé de l'extérieur sera saisi et versé à un compte qui sera ouvert à la caisse de Cayenne. Ce compte est déjà formé du montant du pécule de Dreyfus, versé aux Iles du salut par le Commissaire du Gouvernement de la "Ville de Saint Nazaire" et s'élevait à la somme de 1.400 F

Avis de ces dispositions sera donné au déporté qui sera prévenu que l'administration  en fera l'emploi qui conviendra pour les besoins personnels du condamné et sur sa demande.

 

555_413_image_caom_3355_10_7_031895_024Dans le cas où le condamné Dreyfus tomberait malade, et que la présence du médecin fut jugée nécessaire, avis en sera donné par le Commandant en service médical des Iles du salut pour faire effectuer la visite reconnue indispensable à l'Ile du Diable. Le médecin désigné devra être muni d'une autorisation signée du Commandant des Iles du Salut. Celui-ci accompagnera le médecin dans la visite et prendre note des prescriptions que pourra ordonner cet officier de santé.

Si des travaux devaient être exécutés à l'Ile du diable, le conducteur ou l'agent qui en serait chargé devra être proteur également d'une autorisation du ommandant des Iles du salut, dans les conditions que je viens de mentionner pour le Médecin.
Ce sont, d'une façon absolue, les deux seuls cas où ce fonctionnaire pourra délivrer des permissions de pénétrer à l'Ile du Diable.

Le Surveillant-chef du camp de la déportation tiendra un journal des moindres faits, incidents, remarques quelconques qui surviendront ou se produiront à l'Ile du Diable. Il sera muni de deux livres sur lesquels il inscrira journellement tout ce qui touchera à son devoir concernant aussi bien le déporté Dreyfus que les personnes appelées de détailler [sic] dans la présente communication.

 

555_415_image_caom_3355_10_7_031895_026En terminant, je vous proposerai, conformément aux instructions confidentielles du Ministre, et dans le but de stimuler le zèle des surveillants militaires qui vont avoir la charge de garder Dreyfus, de décider que ces agents recevront à titre d'indemnité et pendant tout le temps de leur séjour à l'Ile du Diable le tiers de leur solde en sus, dégagée de tous accessoires.

Je vous serais reconnaissant, Monsieur le Gouverneur, de vouloir bien me faire connaître si vous approuvez les mesures indiquées dans le présent rapport, et si je puis, dès aujourd'hui, entrer dans la voie d el'exécution qu'elles comportent aux Iles du Salut.


Je suis, avec un profond respect,
Monsieur le Gouverneur,
Votre très obéissant serviteur

Deniel

 


*****************************************

Le personnage se gonfle d'une telle outrance qu'on s'imagine bien exploser sous le poids de ses "immenses responsabilités". Quatre pages pour détailler la manière de faire descendre un homme depuis un navire, le diriger vers une cellule dans l'isolement (aucunement prescrit par quiconque) alors qu'il a tout le personnel qu'il souhaite à sa disposition (c'est une tâche digne d'un caporal-chef...).

On imagine que le Gouverneur fut ravi d'apprendre, entre autres détails, qu'on avait pensé à donner à Dreyfus un seau à déjections... On apprécie également la manière dont il nomme en permanence le Commandant supérieur des îles, personnage plus haut gradé que lui: "ce fonctionnaire". Quand on connaît la casuistique administrative de l'époque, le trait en dit long sur "le marquage de territoire"

Quel est cet étonnement, enfin, devant le fait que Dreyfus semblait avoir du mal à marcher, encombré qu'il était de ses vêtements de rechange et d'une couverture, après des semaines de navigation ou il subit tangage et roulis?

On n'oubliera pas toutefois que l'opinion était alors quasiment unanime à estimer que Dreyfus était un traitre à sa patrie. Dans ces conditions, que des militaires éprouvassent de la répugnance à le fréquenter est parfaitement compréhensible, à une époque où le patriotisme était la valeur première enseignée dès la petite école.

Le témoignage du médecin qui eut Dreyfus à sa charge - et qui, contrairement à Deniel qui fit plus que du zèle est révélateur. Voilà ce qu'il écrivit:

"C'est avec angoisse que j'attends le moment où la Ville de Saint-Nazaire ayant mouillé là où nous sommes, je verrai Dreyfus paraitre sur la plate-forme del'échelle et se disposer à descendre dans le canot où je serai là pour prendre livraison de sa personne. La hideur de ce lépreux là [il soignait auparavant les forçats atteints de cette terrible maladie avant qu'ils ne fussent transférés sur un îlot du Maroni] ne sera-t-elle pas mille fois plus effrayante que celle des misérables et obscurs moribonds dont le sort désespéré vous a rempli d'une juste pitié? Cet être s'assoiera à côté de moi, son corps me frôlra et je serai obligé de lui parler. Il y a de dures corvées dans la vie (Propos recueillis par Paul Mirmande, cités par Michel Pierre)

Notons aussi l'aberration commandée par Deniel, qui conditionne une éventuelle visite médicale à une opportunité décidée par des surveillants sans compétences en ce domaine, avec accord préalable d'un fonctionnaire administratif qui notera les prescription - ce qui bafoue totalement les principes du secret médical.

Son allusion à des complots en vue de délivrer Dreyfus, propres à sa seule imagination, relève de la paranoïa la plus totale. L'Allemagne enverrait-elle un ou deux vaisseaux lourds dans ce but et dans cette hypothèse, de toute manière, que pèseraient les mousquetons des surveillants, aussi valeureux soient-ils?

Deniel fait preuve d'un sadisme consommé quand il feint d'appliquer la règlementation propre aux déportés, datant de 1852 et 1872. Car à l'époque, que ce soit en Guyane ou en Nouvelle Calédonie, ils constituaient des groupes relativement importants qui établissaient des liens sociaux. Là, il condamne Dreyfus à une solitude terrifiante, pire encore que celle ressentie par les réclusionnaires qui, au moins, disposaient de quelques moments d'intimité entre les passages de gardiens. Là Dreyfus, des années durant et y compris quand l'intimité est requise ne serait-ce que pour satisfaire des besoins naturels, fut observé en permanence.

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