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Le bagne de Guyane
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Le bagne de Guyane
  • Un siècle d’échec carcéral. Dès le Second Empire, la Guyane fut choisie comme terre d’expiation. Au total, environ 80.000 transportés, relégués, déportés y furent expédiés sans profit pour la colonie. Histoire, géographie, vie quotidienne au bagne
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13 août 2013

Robert Ménard de Couvrigny, parricide... La "fin de race" (1)

 

couvrignychateauLe "château"

Ce drame, l'assassinat du baron Maxime de Couvrigny par son fils de dix-huit ans, fut une des affaires criminelles parmi les plus pénibles du début de ce XXe siècle qui en connut tant. Robert de Couvrigny, l'ainé d'une fratrie de quatre enfants, fut encouragé par sa mère à commettre cet acte odieux. L'instruction, puis le procès étalèrent une réalité familiale particulièrement sordide, au delà des apparences (la famille de Couvrigny était de très vieille noblesse et un illustre ancêtre avait participé, cinq siècles auparavant, à la défense du Mont-Saint-Michel. Un autre était présent lors de la bataille de hastings, au XIe siècle).

Le couple, union de deux cousins germains (décidée en partie pour des motifs matériels: ne pas amputer davantage le patrimoine familial) fut très vite une mésalliance. Maxime de Couvrigny était ce qu'on appellerait de nos jours un brave homme intellectuellement limité, aux idées simples et au caractère faible, qui tentait envers et contre tout de sauver les apparences, de tenir son rang malgré une gêne financière croisant qui confinait à la pauvreté, ne tolérant devant lui aucun propos désobligeant tenu à l'encontre de son épouse pourtant indéfendable.

Le châtelain était en réalité devenu un paysan contraint de compter chaque franc, qui accomplissait lui même avec l'aide d'un journalier et d'une servante dont les gages étaient parfois versés avec des mois de retard les rudes tâches quotidiennes qui faisaient vivoter la famille. Quant à son épouse, alcoolique dépravée, elle avait organisé son existence de manière à dépouiller un peu plus son mari pour satisfaire ses besoins de cidre, de calvados, d'absinthe et d'autres boissons fortes, de même que son érotomanie. A l'exception de la seule pièce dite de réception (où on ne recevait d'ailleurs presque jamais personne tant le baron avait honte de son épouse que l'alcool poussait à une vulgarité extrême qui s'ajoutait à sa crasse et à la forte odeur qu'elle dégageait par manque d'hygiène), l'ensemble du "château" était d'une saleté répugnante: les draps dans les chambres n'étant pas changés depuis des mois, des déchets de nourriture et des bouteilles vides jonchant le sol de la chambre de la baronne - les époux faisaient chambre à part depuis longtemps. Les petits n'étaient lavés qu'occasionnellement et Robert, l'ainé, était aussi crasseux que sa mère.

scan32bisMais chaque semaine, le tilbury, conduit solennellement par le baron, emmenait une famille mise sur son trente-et-un qui assistait à la messe dominicale après laquelle le baron s'entretenait avec le maire (il était lui-même conseiller municipal) tout en refusant les invitations à boire, car dans l'impossibilité matérielle de rendre les tournées. On en était arrivé à un tel point que les commerçants de Fresné-la-Mère (Calvados) commençaient à refuser d'allonger encore les notes impressionnantes dues par la famille, malgré le respect traditionnellement dû aux hobereaux de la paroisse et la sympathie que chacun éprouvait pour le baron, unanimement plaint pour ce que son épouse lui faisait subir. Le seul plaisir de Maxime de Couvrigny, pendant ses rares loisirs, était la chasse qui permettait accessoirement d'améliorer le quotidien de la famille.

La baronne dont les comptes étaient vainement surveillés par son mari se comportait comme une poissarde. Elle achetait davantage de provisions que le strict nécessaire pour les revendre, payant ainsi une  partie de sa boisson avec l'argent ainsi ramassé ; elle détournait des oeufs, quelques litres de lait, du beurre, les confitures et les salaisons familiales à ces fins, ce qui ne suffisait pas. Elle ramassait alors des hommes trouvés au hasard de ses rencontres quand elle s'attardait dans les débits de boisson des environs, hommes qui avaient le privilège de baiser une aristo pour peu qu'ils amènent un ou deux flacons d'absinthe quand ils la rejoignaient au milieu de la nuit dans la nature ou même dans sa chambre quand le gros con dormait. Débauches sexuelles qui ne l'empêchaient pas de se livrer aux plaisirs saphiques avec la bonne du moment (certaines que ces avances révulsaient donnaient leur congé sans oser donner le vrai motif au baron: elles invoquaient les retards de paiement des gages). Aussi incroyable que cela paraisse, le baron semblait ignorer jusqu'au bout les innombrables infidélités de sa femme, pourtant connues à des kilomètres à la ronde... ou alors il faisait semblant.

couvrignybaronne

couvrignyfilsC'est la baronne qui dépucela son ainé Robert atteint comme elle d'obsession érotique avant de l'orienter vers Marie Louise Lemoine, la servante récemment engagée par le baron - les trois s'unissant de temps à autre dans le lit maternel. Les autres jours, Robert demandait à cette gamine de quinze ans de le rejoindre dans le lit de ses frères Roger (12 ans), Jean (7 ans)  ou de sa soeur Elisabeth (10 ans) qui assistaient aux ébats de l'ainé "parce que la porte de ma chambre grince et que ça pourrait réveiller le vieux con".

Robert avait suivi les cours de l'école communale avec des résultats déplorables. De ce fait, son père l'avait inscrit à un pensionnat agricole où il ne se comporta pas mieux et où ses instincts dépravés (terminologie de l'époque) avaient provoqué des incidents. Le baron, en désespoir de cause, pour le former par lui même à sa succession, le fit revenir au château et il y accomplissait sans conviction un travail d'ouvrier, n'ayant pour ambition suprême que d'être cocher de fiacre, furieux parce que son père ne le laissait pas conduire le tilbury de la famille aussi souvent qu'il le souhaitait: il devait se contenter d'une vieille bicyclette.

Des incidents sérieux se produisirent quand il initia brutalement son frère Roger à l'onanisme avant de le contraindre à le soulager lui même, le blessant sufisamment sérieusement au pénis pour que l'intervention d'un médecin soit nécessaire, puis quand il tenta de violer sa petite soeur sans que sa mère y trouve grand chose à redire. Elle se contenta de l'aiguiller vers la servante qui fut quand même choquée par le fait ("C'est trop con quand même! Elle est trop petite!").

A chacun des abus sexuels commis sur les petits, quand il en eut connaissance avec retard, le père flanqua une correction mémorable à Robert qui en avait autant peur qu'il le détestait, sans aller plus loin par crainte du scandale.

Toutefois, pour soustraire le cadet Roger, qui avait de meilleures dispositions pour les études, à la mauvaise influence de Robert, le baron résolut en août 1911 de le placer en pension. C'en était trop pour la baronne qui se révolta devant ces dépenses supplémentaires qui obéreraient un peu plus ses chances de boire à sa convenance. C'en était aussi trop pour Robert car de temps à autre, pendant les vacances, son cadet l'aidait dans les tâches agricoles.

fresnelamere2

Il fallait tuer le gros con, le vieux con (comme la mère et Robert l'appelaient entre eux, devant les petits) et même Roger, rendu irresponsable par le manque de discernement dû à son jeune âge et par l'influence de sa mère, contrarié en outre à l'idée de vivre en pension, ne crut pas devoir prévenir son père. Quant à Elisabeth qui n'avait, comme son petit frère Jean, connu que cette ambiance épouvantable, elle aimait bien papa, mais si tout le monde (y compris la servante) dit qu'il faut le tuer, ça devait être vrai...

La servante, Marie-Louise Lemoine, arrivée depuis peu, déboussolée par une rupture sentimentale, fut très vite conquise par le lesbianisme auxquel la baronne l'avait initiée - agréable dérivatif entre les assauts répétés du fils qui lui faisaient craindre une grossesse forcément mal venue. Initiée aux secrets familiaux, elle se mêla des divers complots, donna son point de vue, suggéra d'appeler son ancien amant, un apache qu'elle pensait capable de tuer le baron contre rétribution.

Pour se débarrasser du gêneur, Marguerite de Couvrigny essaya d'abord le poison en plaçant ce qu'elle croyait être une dose mortelle d'un liquide utilisé pour les toilettes vaginales dans la soupière du baron (amené par l'hostilité permanente de son épouse et de son fils ainé à prendre ses repas seul), sans autre résultat qu'un léger dérangement intestinal pour la victime. Persuadée que les champignons des bois étaient tous mortels contrairement à ceux des prés, elle prépara une omelette qui devait expédier "le gros porc" ad patres. Nouvel échec. On tenta d'utiliser des baies blanchâtres que des journaliers avaient décrites dans le passé comme toxiques. Elles ne parvinrent qu'à indisposer le malheureux.

Il fallait employer les grands moyens et Robert se proposa alors pour tuer son père d'un coup de fusil. "Si tu veux", répondit la baronne, "mais si tu rates ton affaire, je ne te connais pas". Cela ne l'empêcha pas d'envoyer le cadet Roger, qui savait à quoi elles seraient destinées, acheter les cartouches nécessaires à l'entraînement et à l'assassinat, d'initier Robert au tir (dans sa jeunesse, elle avait chassé, plutôt bien d'ailleurs avant que l'alcool n'en fasse ce qu'elle était devenue), de sélectionner l'arme convenable en rejetant le Hamerless dont le recul était trop important pour les frêles épaules de l'adolescent. On convint d'attendre que les petits Elisabeth et Jean qui pouvaient parler fussent à l'école et un jour, après moultes péripéties, Robert se posta à l'affût à quelques centaines de mètres devant l'entrée dans la cour de la propriété, un jour où le baron était sorti avec le tilbury. Première erreur: le fils n'avait pas remarqué une voisine, intriguée de le voir attendre sans raison.

fresnelamere6Lorsque le père arriva enfin, le fils tira sans la moindre hésitation. La décharge toucha le baron en pleine tête. Il s'affaissa et le cheval, entraîné par l'habitude, continua son chemin vers la cour, le baron laissant derrière lui une trainée de matière cérébrale. Il râlait encore en arrivant avant de mourir très vite devant sa femme. Seconde erreur de Robert: il ramassa le chapeau déchiqueté par la décharge, le donna à sa mère qui le dissimula dans l'idée de le brûler dans la cuisinière une fois celle-ci allumée le lendemain matin. L'assassin se rendit alors au village pour signaler à son ancien instituteur, secrétaire de mairie et ami du baron, une agression sans doute commise par un rôdeur dont son père avait été victime. Le fonctionnaire municipal alerta immédiatement les gendarmes qui se rendirent sur place et mirent très vite en doute la thèse du meurtre commis par un inconnu: on n'avait rien volé au baron à qui en outre, on ne connaissait pas d'ennemi. Ils furent également troublés par l'absence totale de manifestations de chagrin, tant de la part de la mère que de Robert, mais la Maréchaussée avait pour habitude de prendre des gants avec les notables du coin... 

La baronne mit alors en cause un fermier des environs avec qui le baron avait eu un différend banal quelques mois auparavant à propos d'une poularde que Maxime de Couvrigny avait faite sienne par erreur: le juge de paix l'avait alors condamné à 25 francs de dommages et intérêts et depuis, les deux hommes ne se saluaient plus. Mais heureusement pour lui, ce voisin put fournir un alibi irréfutable. Quelques contradictions dans les dépositions du fils et de la mère (d'autant plus que cette dernière, en manque d'alcool, avait perdu de sa lucidité), le témoignage de la voisine qui assura avoir surpris Robert à l'affut et les gendarmes poussèrent leur avantage auprès de l'assassin qui avoua tout, "chargeant" sa mère accusée d'avoir tout manigancé, détaillant ses actes avec une absence totale de remords, relatant également les tentatives d'empoisonnement.

La baronne, mise au pied du mur, confirma en partie les dires du fils, niant toutefois l'avoir aidé matériellement, de même qu'elle récusa les tentatives d'empoisonnement - que Marie Louise relata pour se disculper elle même, pour cesser d'apparaître complice de ce crime familial, exactement dans les mêmes termes que le fit Robert, interrogé séparément. Les perquisitions permirent d'établir les faits: on retrouva un morceau du chapeau du baron, tombé dans l'escalier quand la baronne l'avait descendu pour l'incinérer et Robert montra, sur des arbres ou d'autres cibles, les traces de ses "leçons de tir": il fut impossible pour la baronne de soutenir qu'elle était dans l'ignorance. Pour finir, Marie Louise Lemoine qui avait tout entendu et rien fait pour empêcher le crime incrimina au maximum la baronne et, dans une moindre mesure, Robert. Le cadet, Roger, donna aussi ingénument des détails et devant cette profusion d'éléments, on évita de trop solliciter la petite Elisabeth qui confirma néanmoins avoir été forcée par son ainé jusqu'à en perdre sa virginité, si l'acte ne fut pas totalement consommé par impossibilité anatomique.

Les perquisitions et les déclarations des uns et des autres révélèrent à l'effroi de tous l'horreur au quotidien de cette vie familiale. L'inceste entre mère et fils, les amours à la fois ancillaires et saphiques, la corruption de mineurs qui impliquaient tant la servante que les enfants, les trois tentatives de viol de Robert sur sa petite soeur, infructueuses pour de seules causes anatomiques, les innombrables amants de la baronne, son ivrognerie, la saleté répugnante dans laquelle tout ce petit monde croupissait, etc., tout fut cause de scandale. En apothéose, une tentative de correspondance illégale de la baronne, interceptée par une gardienne de prison et destinée à Marie Louise Lemoine, qui révélait tous les faits en lui promettant qu'une fois cette affaire réglée, elles pourraient vivre "comme avant" à Paris (avec des injonctions pour qu'elle tente de la disculper au détriment de Robert), et permit s'il en était besoin de prendre la pleine mesure de son rôle d'instigatrice.

800px-Caen_France_(39)L'instruction fut menée tambour battant et le procès s'ouvrit quelques mois plus tard, le 12 janvier 1912. Les experts avaient conclu à la responsabilité des deux accusés, même si on reconnaissait à Robert une légère atténuation due à son manque d'intelligence qui le confinait presque à l'imbécillité, une complète amoralité - conséquence selon les termes du rapport de l'éducation maternelle déplorable. La baronne, pour sa part, ne bénéficia qu'aux marges des excuses qu'une lourde hérédité aurait permis en d'autres circonstances de faire valoir.

Pendant le procès, les deux accusés défendus chacun par un avocat du barreau local (la baronne, pour faire bonne mesure, s'était aussi assuré les services du ténor venu de Paris, Maître Henri Robert) ne cessèrent de s'accuser mutuellement. Robert ne nia aucun des faits qui lui furent reprochés: assassinat bien sûr mais aussi atteinte aux moeurs sans paraître réaliser la gravité de ses actes. Le procureur commit un réquisitoire qui fit à l'époque une forte expression. Auparavant, la partie civile, au nom des trois autres enfants Couvrigny: Jean, Elisabeth et Roger, ne s'opposa pas aux circonstances atténuantes pour Robert qu'elle jugeait immature. Elle porta tout le poids de ses exigences sur la baronne.

La couverture du procès par le presse fut exceptionnelle. Comme plus tard au cours de l'affaire Barataud (pendant laquelle on stigmatisa les moeurs décadentes d'une certaine bourgeoisie décadente), certains journalistes tentèrent de porter le débat sur le thème de la justice de classe, ce qui était quelque peu excessif d'une part parce que la justice passa sans la moindre faiblesse, sans complaisance aucune, d'autre part parce que nonobstant la particule, la victime était avant tout un pauvre homme (dans tous les sens du terme) d'une grande faiblesse de caractère et entouré de dégénérés. Sans sa fin tragique, sans le traumatisme auquel les jeunes enfants furent soumis, ce cocu magistral qui ne tolérait aucune critique même voilée de son épouse aurait sans doute porté à rire. Il est d'ailleurs permis de se demander si réellement il ignorait son infortune tant elle était patente et tant elle revêtait un caractère public.

En tout cas, cette affaire démontre s'il en était besoin que le crime se joue autant des classes sociales que de l'époque et de la naissance. La Vox populi protesta toutefois énergiquement quand on apprit que pendant une reconstitution minutieuse des faits opérée au cours d'un transport de justice au château, la baronne avait demandé - et obtenu - que Marie-Louise lui préparât une volaille rotie pour la changer de l'ordinaire carcéral. Au retour de cette reconstitution, les gendarmes durent s'employer pour la protéger des villageois en furie qui voulaient lui faire un mauvais partie: on avait beau sourire des mésaventures du baron, grogner contre les nombreuses factures que par obligation il laissait impayées, on aimait bien, au village, ce brave homme courtois et toujours impavide.

(seconde partie)

 

Sources: forum "la Veuve", Presse de l'époque par Gallica, bm de Lisieux

benjamin borghésio

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Commentaires
M
Il est étonnant que, dans l'entrée "Fresné-la-Mère" de Wikipédia, on ne trouve pas un mot sur cette affaire.
B
(benjamin) A quoi faites vous référence? Je n'ai cité que la famille de Couvrigny et encore, parce que ce drame est du domaine public et qu'il a nourri la littérature
G
la famille du MERLE n'a strictement rien à voir dans cette affaire; facile à demontrer
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